Préambule
Sujet classique et attendu, il s’inscrit dans un mouvement actuel de rejet de la mondialisation par certaines franges de la population et certains mouvements politiques. Le sujet rappelle très fortement celui d’HEC 2003 : « La mondialisation économique est-elle irréversible ?« . Même si le sujet de l’ESSEC ne précise pas qu’il faut se concentrer sur la mondialisation économique, il convient bien de se centrer sur cette dimension du phénomène afin de ne pas partir dans tous les sens.
Le corrigé ci-dessous est une version courte d’un corrigé proposé au cours de l’année aux étudiants ayant suivi le « Stage ESH » sur la plateforme MyPrepa.
Introduction
Accroche : Avec la parution en 2014 de son ouvrage La fin de la mondialisation, F. Lenglet prédisait le déclin progressif du libre-échange et le retour à une forme de « protectionnisme raisonné ». On peut alors se poser avec lui la question de la réversibilité du processus de mondialisation, réversibilité qui semblait pourtant jusque-là peu réaliste.
Définition : La mondialisation est un phénomène complexe. On peut la définir comme un processus d’interdépendance croissante des économies nationales et la constitution d’un espace économique mondial de plus en plus intégré. Bien qu’elle soit ainsi un phénomène multidimensionnel, à la fois politique, social, économique et culturel, nous nous concentrerons ici sur sa dimension économique, principalement relative aux flux de facteurs de production (main d’œuvre et capitaux), aux flux financiers, et aux flux de biens et services.
Contextualisation : Si elle est souvent vue comme un phénomène récent, on peut cependant inscrire la mondialisation dans la dynamique longue du capitalisme et considérer avec S. Berger (Notre première mondialisation : leçons d’un échec oublié, 2003), que le XIXe siècle marque une première phase de la mondialisation moderne en accélérant l’interconnexion commerciale entre les nations occidentales. La seconde phase de mondialisation, plus récente, prend place dès la fin des années 1970 avec une accélération du mouvement de libéralisation internationale des échanges, notamment axée autour des flux de capitaux.
Problématisation : L’étendue du phénomène et sa dynamique depuis les années 1980 laissaient penser à un processus irréversible, dont les effets seraient permanents, dont la dynamique ne pourrait être remise en cause. La crise de 2008, à travers ses effets sur les structures économiques et sociales des nations, a cependant ouvert la voie à une remise en cause de ce processus de mondialisation et à la montée des populismes protectionnistes. Toutefois, si les États nationaux gardent en dernier ressort leur souveraineté et peuvent donc, en théorie, se retirer du processus de la mondialisation, la question se pose de savoir si un tel retrait, unilatéral ou organisé, est aujourd’hui réaliste, s’il peut se faire sans entraîner l’effondrement des économies concernées.
Problématique : Comment pourrait être envisagé un recul de la mondialisation, comment pourrait être mise en œuvre son éventuelle réversibilité dans un monde où domine ce que K. Ohmae caractérisait d’ »interlinked economy » ?
Annonce de plan : Nous soulignerons tout d’abord que le processus de mondialisation peut sembler bien trop poussé pour être remis en cause (I). Cependant, nous montrerons que l’histoire de la mondialisation n’est pas une histoire linéaire et qu’elle semble aujourd’hui buter face à ses propres contradictions (II). Plus qu’un recul, il nous faudra alors analyser une forme de reconfiguration de la mondialisation (III).
I. La mondialisation : un élément structurant des économies
A. Les flux de la mondialisation et leur centralité dans les économies contemporaines
Paragraphe 1 : Depuis le 19e siècle les flux économiques et financiers internationaux n’ont cessé de s’accroître. Cet accroissement a été soutenu par une large entreprise d’institutionnalisation du libre-échange et la multiplication des accords commerciaux bilatéraux puis multilatéraux. L’étendue de ces réseaux institutionnels semble aujourd’hui rendre impensable un quelconque recul de la mondialisation.
- Revenir sur l’institutionnalisation du libre-échange avec la succession des différents accords, d’abord bilatéraux puis multilatéraux : Eden-Rayneval (1786), Cobden-Chevalier (1860), GATT (1947), OMC (1995). On peut mettre en parallèle ce mouvement avec le désencastrement analysé par K. Polanyi (1944) et qui contribue à une diffusion internationale des paradigmes libéraux.
- Quelques chiffres : entre 2005 et 2015, l’OMC estime que les flux de marchandises ont augmenté de plus de 50%, passant de 11 000 milliards à près de 17 000 milliards de dollars. Dans le même temps, les flux de services commerciaux suivaient une progression encore plus rapide, passant de 2 000 milliards à près de 5 000 milliards de dollars.
Paragraphe 2 : L’internationalisation des économies s’est également traduite par une place toujours plus importante des firmes multinationales dans les économies nationales. Celles-ci sont désormais l’un des piliers de l’emploi dans les pays occidentaux comme en développement, que ce soit par leurs recrutements directs ou par leurs réseaux de sous-traitants.
- Insister sur l’extension de la division internationale du processus productif (DIPP), sur la place des FMN dans les économies nationales, leurs stratégies (modèle OLI de Dunning), les flux intra-firmes…
- Quelques chiffres : les FMN emploient plus de 4% de la population mondiale. Pour le cas français, c’est près d’un salarié sur deux qui travaille aujourd’hui pour une firme multinationale, et cette proportion atteint même 2 sur 3 dans le secteur industriel. Les flux intra-firmes représentent quant à eux plus du tiers des échanges internationaux.
B. Les conséquences d’un retrait de la mondialisation seraient néfastes
Paragraphe 1 : La mondialisation semble avoir été depuis la seconde moitié du 20e siècle l’un des moteurs de la croissance des pays développés et du rattrapage des économies en développement. Dès lors, un retrait de la mondialisation de la part d’une nation lui serait coûteux en termes de potentiel de croissance, de telle sorte qu’aucune des économies nationales ne semble avoir d’intérêt à œuvrer pour une réversibilité de la mondialisation.
- Rappeler qu’une sortie de la mondialisation reviendrait à en abandonner les avantages substantiels. On peut synthétiser ces avantages avec Krugman : effet de dimension, effet de concurrence et effet de diversification. On peut également rappeler avec Sachs et Warner (1995) que l’ouverture à la mondialisation a été un élément essentiel de la croissance de nombreux pays (3,5 points de croissance annuelle moyenne entre 1970 et 1995). Plus globalement, un retrait de la mondialisation constituerait un double choc d’offre et de demande pour les économies nationales.
- Quelques chiffres : En 2016, la France exporte plus de 670 milliards de marchandises et services commerciaux, soit près d’un tiers de son PIB. Par ailleurs, près des deux tiers de la dette française sont détenus par des investisseurs étrangers.
Paragraphe 2 : La mondialisation semble ainsi irréversible en cela qu’elle permet un gain de surplus économique et donc une hausse du bien-être pour les agents économiques. Ces vertus théoriques font de la mondialisation un processus que chaque dirigeant économique devrait a priori souhaiter protéger.
- C’est l’occasion de sortir son attirail théorique sur les bienfaits de l’ouverture internationale : Smith (1776), Ricardo (1817), HOS (1933), Lassudrie-Duchêne (1979), Linder (1961)…
- Graphiquement on peut montrer que le retour à une forme de protectionnisme conduirait à une perte de surplus pour le consommateur, et on peut mettre à la fois en avant un triangle d’Harberger et un trapèze de Tullock.
II. La mondialisation est un phénomène non linéaire et aujourd’hui limité
A. L’histoire même de la mondialisation illustre sa réversibilité
Paragraphe 1 : Un rapide regard sur l’histoire du commerce international permet de mettre en évidence certaines phases de replis de la mondialisation. L’étude empirique des relations commerciales internationales semble ainsi accréditer la thèse d’un processus de mondialisation qui serait possiblement réversible.
- On peut rappeler que le 19ème siècle a illustré le caractère réversible de la mondialisation. Il faut alors mobiliser une vision longue de la mondialisation avec S. Berger (2003) ou P. Bairoch (1994). De manière générale, les périodes de crises économiques se soldent généralement par un mouvement de repli nationaliste.
- Quelques exemples : il faut alors mobiliser une somme d’exemple historiques. On pouvait penser aux tarifs Méline (1892) ou au Smooth-Hawley Tariff (1930). Entre 1929 et 1932 la valeur du commerce mondial accusait ainsi une chute de 60%.
Paragraphe 2 : La période actuelle, suite à la crise de 2007-2008 et à ses conséquences sur les économies nationales, n’échappe pas à la règle. On assiste en ce début de 21e siècle à la montée de tensions protectionnistes et à une contraction des échanges mondiaux.
- Sur un paragraphe plus actuel, il était possible de rappeler les frasques du désormais président D.J. Trump lors de sa campagne présidentielle, de souligner la montée des populismes en Europe (FN au second tour, Brexit), et de se servir de tous ces éléments d’actualité pour souligner que la tendance est à un rejet des peuples d’un libéralisme trop exacerbé.
De façon plus académique, on pouvait citer les travaux de S. Jean au CEPII pour rappeler que depuis 2006 c’est plus de 600 mesures protectionnistes (souvent sous la forme d’un murky protectionism) qui ont été dénombrée de par le monde. - Quelques chiffres : les exportations mondiales ont ainsi chuté de plus de 40% entre 2008 et 2009, soit plus qu’après 1929. Pour les IDE, la chute a atteint les 50%. Si après 2010 on a observé une certaine reprise des échanges, on assiste selon l’OMC à un nouveau repli des échanges entre 2015 et 2016.
B. Les limites contemporaines de la mondialisation
Paragraphe 1 : C’est aujourd’hui face à ses limites physiques que semble buter la mondialisation. La DIPP atteint un niveau de fragmentation tel qu’un approfondissement est difficilement envisageable. Surtout, la mondialisation sous sa forme développée fait face à un ensemble de limites environnementales et sociales qui poussent à l’apparition d’un mouvement de « démondialisation ».
- La fragmentation de la chaîne de valeur semble atteindre ses limites. Les délocalisations en cascade ont en fait générer des coûts de coordination importants et certaines entreprises n’hésitent pas aujourd’hui à relocaliser. La recherche d’une compétitivité hors-prix tend à remettre en cause les dynamiques traditionnelles de la mondialisation. Le « made in national » devient un argument marketing, et est notamment porté par certains politiques (on se souvient d’A. Montebourg en marinière, se posant en fervent défenseur du made in France). On peut aller jusqu’à parler avec des gens comme E. Todd ou J. Sapir (2011) d’un mouvement de « démondialisaiton ».
- Quelques exemples : L’entreprise spécialisée dans les équipements de ski Rossignol, la marque de lingerie féminine Geneviève Lethu, ou encore le constructeur de jouet Mecano ont ainsi préféré relocaliser leurs activités en France après un premier mouvement de délocalisation.
Paragraphe 2 : Par-delà ces limites physiques, la mondialisation fait aussi face à une remise en cause croissante de ses vertus. Le dogme libéral est ainsi de plus en plus critiqué alors que l’inégale répartition des fruits de la mondialisation apparaît de plus en plus manifeste.
- C’était l’occasion de rappeler tous les vices de la mondialisation : la montée des inégalités (F. Bourguignon, 2012), de la bipolarisation du travail (R. Reich, 1991) ou encore de l’instabilité financière (Reinhart, Rogoff, 2009).
Même le prix Nobel P. Krugman, pourtant ardent défenseur de la mondialisation par le passé reconnait après la crise de 2008 qu’elle engendre une somme d’effets pervers. - Côté opinion publique : dans son numéro de Janvier 2017, titré « La fin de la mondialisation ?« , le magazine Alternatives Économiques révèle ainsi que 68% des français pensent que la mondialisation est un processus inégalitaire qui profite essentiellement aux plus riches Ils sont 37% à considérer que la mondialisation agit « pour le pire« , plus que « pour le meilleur« .
III. Les mutations en cours et à venir de la mondialisation
A. Un recentrage de la mondialisation sur les pays du Sud
Paragraphe 1 : Alors que les pays occidentaux sont historiquement les acteurs centraux de la mondialisation, les deux dernières décennies ont été marquées par un accroissement du rôle des pays du Sud. Si la mondialisation atteint ses limites dans les pays du Nord, son potentiel d’expansion dans les pays en développement reste majeur.
- Un double mouvement se dessine pour les économies des pays du Sud : à la fois un recentrage sur la demande nationale (celle-ci ayant gagné en solvabilité grâce au rattrapage permis par la mondialisation), et une conversion progressive vers les secteurs à compétitivité hors-prix.
Longtemps cantonnées au rôle d’atelier des pays développés, les économies émergentes tendent à devenir le nouveau centre de la mondialisation et gagnent en attractivité. - Quelques chiffres : Le paradoxe énoncé par Lucas en 1990 semble aujourd’hui caduc dès lors que les pays émergents représentent plus de 50% des directions d’investissements étrangers et 28% des sorties de capitaux (contre 10% en 2003), dont 70% vers d’autres pays du Sud. En 2010 ces émergents représentent 45% du commerce mondial.
Paragraphe 2 : C’est à la lumière de ce phénomène de rattrapage qu’il est possible d’expliquer les réticences nouvelles de certaines populations des pays occidentaux face à la mondialisation. La montée en gamme de la production des émergents conduit à amplifier les difficultés structurelles des économies développées.
- D’où la montée d’une forme de protectionnisme des industries sénescentes (Kaldor, 1970) visant notamment à maintenir certaines « préférences de structure » (Weiller, 1982). Pour les secteurs innovants, on peut même ressortir les vieilles thèses du protectionnisme éducateur (List).
- Quelques chiffres : Les économies en développement représentent aujourd’hui 43% des exportations mondiales de marchandises et 41% des importations de ces dernières. Au début des années 2000 ces proportions étaient respectivement de 30 et de 28%. En 2010, pour la première fois dans l’histoire de la mondialisation, les échanges Sud-Sud sont devenus supérieurs aux échanges Nord-Sud.
B. La gouvernance de la mondialisation en question
Paragraphe 1 : Afin d’assurer l’irréversibilité de la mondialisation, il s’agit alors de repenser son organisation et sa gouvernance. Cela passe notamment par la mise en place d’une mondialisation plus inclusive, nécessitant une réforme de ses institutions et organisations.
- Il s’agit ici de mobiliser les travaux de D. Rodrik (1997) et son fameux « trilemme de Rodrik ». La question est alors de savoir comment introduire plus de démocratie dans un processus de mondialisation devenu illégitime vis-à-vis des souveraineté populaires.
- Illustration : Les manifestations contre les accords de libre-échange TAFTA et CETA ont illustré l’appétence des populations pour une plus grande régulation de la mondialisation et leur refus d’un ultra-libéralisme trop poussé.
Paragraphe 2 : Face au relatif recul de l’hyper-mondialisation, c’est désormais autour de logiques plus régionales que globales que semble s’organiser le phénomène de mondialisation.
- On peut alors penser que les accords commerciaux régionaux (ACR) sont l’avenir de la mondialisation. Ils entraînent certes un « détournement de trafic » mais également une « création de trafic » (Viner, 1950). Pour l’ancien directeur général du GATT, A. Dunkel, on peut alors dire que régionalisation et mondialisation apparaissent comme « les deux faces d’une même pièce«
- Quelques chiffres : les pays membres de l’Union Européenne effectuent ainsi près des deux tiers de leur commerce extérieur entre eux. Pour les pays de l’ASEAN, ces échanges intra-zone représentent un quart des échanges totaux (contre 15% il y a 50 ans).
Conclusion
Synthèse : Comme tout phénomène économique, la mondialisation est donc tributaire des évolutions sociétales et des structures sociales comme politiques dans lesquelles elle s’insère. Dès lors, malgré son extension croissante aux différentes sphères de nos sociétés, il ne s’agit pas d’un phénomène immuable mais bien d’un processus évolutif, amené à changer de forme voire de nature. Il est indéniable que nos économies nationales sont aujourd’hui dépendantes de l’économie globale. Cependant cette dépendance ne signifie pas nécessairement que la mondialisation est un processus irréversible. L’analyse historique des faits économiques et l’observation des limites actuelles de la mondialisation nous ont permis de montrer sa réversibilité potentielle. Aujourd’hui l’enjeu semble plus être celui des mutations contemporaines et à venir de la mondialisation plutôt que celui de son éventuelle réversibilité.
Ouverture : Dans une tribune de Janvier 2017, notamment publiée dans le journal Le Monde, le ministre-président de la Wallonie P. Magnette affirmait que « L’Europe doit inventer une nouvelle mondialisation« . L’enjeu est alors de savoir si les unions régionales telles que l’Union Européenne ont aujourd’hui le poids et les capacités nécessaires pour penser et imposer une nouvelle forme de mondialisation qui permettent de dépasser les contradictions de celle que nous avons connu jusqu’alors.