Tout le monde connait le modèle de Solow mais connaissez-vous bien les modèles de croissance postkeynésiens (l’école de pensée la plus fidèle à Keynes) ? Ils sont apparus dans une période précédant la controverse des « deux Cambridge » concernant le caractère hétérogène du facteur capital (au cœur du modèle de croissance de Solow puisque le facteur capital rentre dans la fonction Cobb-Douglas, nous en reparlerons dans un second article). En introduisant ces modèles, cela permet par la même occasion de vous expliquer les mécanismes de l’accélérateur et du multiplicateur keynésien ☺. En avant !
L’EFFET ACCELERATEUR
Aftalion (1913) a fait une distinction entre biens d’équipement et bien de consommation. Il met ainsi en évidence un effet d’accélération dans la demande des biens d’équipement : les oscillations dans la demande des biens de consommation engendrent des oscillations d’amplitude beaucoup plus grandes de la demande des biens capitaux.
Bilan : le décalage est la cause du cycle ; l’effet d’accélération détermine son amplitude.
Clark (« Business acceleration and the law of demand », 1917) : Introduction du « principe d’accélération », l’investissement joue donc un rôle fondamental dans la dynamique cyclique, fondé sur la même observation qu’Hayek (variations cycliques plus importantes de la production dans les secteurs de production de biens d’équipement). Il y aurait une sur-réaction des investisseurs, donc des entreprises aux variations de la demande de biens de consommation, et donc indirectement aux variations du revenu des ménages, l’investissement varierait de manière plus que proportionnelle aux variations du revenu. –
Équation : L’accélérateur de Clark-Aftalion (ou accélérateur simple) s’appuie sur le coefficient de capital (v) (rapport entre le stock de capital K et le niveau de production Y) qui correspond à la proportion de capital nécessaire pour satisfaire une quantité de production donnée.
On a alors :
L’accélérateur introduit des retards de période, en effet, on décide de l’investissement en période t-1 en fonction des anticipations de débouchés en t. Le seul moyen de répondre à une augmentation de la demande à l’instant t est alors d’augmenter les capacités de production afin de produire davantage. Or, on sait que l’investissement à l’instant t correspond à une augmentation du stock de capital entre l’instant t et t-1, on a donc :
LE MULTIPLICATEUR D’INVESTISSEMENT
Le multiplicateur d’investissement a été mis en évidence par Keynes mais il date des travaux de Richard Kahn (« The Relation of Home Investment to Unemployment » in Economic Journal, 1931). Ce mécanisme repose sur :
- Le caractère double de la dépense (ce qui est une dépense pour un agent économique est un revenu pour l’autre)
- La division du revenu entre épargne et consommation (Y = C + S)
- c (propension marginale à consommer) est constante
- La partie consommée est une source de revenu pour un autre agent économique, qui va consommer et épargner, et ainsi de suite….
Ainsi, on aura :
Le multiplicateur montre qu’un investissement supplémentaire de privé/public (ΔI) a un effet multiplicateur (k) sur le revenu national (Y) : ΔY étant sa variation en général > ΔI, ainsi on aura :
Pour démonter l’existence du multiplicateur, on part du tableau suivant :
On aura donc ainsi à la période n :
C’est donc la continuité de la double dépense qui entraine, par vagues successives, la variation de Y. Pour mesurer la variation globale de Y, il suffit de sommer les termes de la suite, on aura donc :
Ex-post, la variation de l’épargne (ΔS) équivaut à celle de l’investissement (ΔI)
I => Y => S : I est indépendant du revenu chez Keynes : un investissement autonome, indépendant d’une accumulation de K antérieure
LE MODÈLE HARROD-DOMAR :
Partie Harrod
R.F. Harrod (« An essay in dynamic theory”, in Economic Journal, 1939) pose deux problèmes:
- L’instabilité fondamentale d’une croissance équilibrée (elle est sur « le fil du rasoir »)
- La difficulté de maintenir le plein emploi
Harrod distingue 3 taux de croissance :
- Le taux de croissance garanti (Gw)
- Le taux de croissance effectif (Ge)
- Le taux de croissance qui assurerait le plein emploi (naturel) (Gn)
Harrod veut montrer que la croissance équilibrée de plein emploi est possible à condition que Gw=Ge-Gn, mais que cet équilibre est extrêmement rare.
Comment se mesure le taux de croissance garanti (Gw) ?
Le taux de croissance garanti (Gw) correspond au taux de croissance ou l’investissement réalisé par les firmes correspond à l’investissement désiré (donc aux besoins de l’économie). Autrement dit, le montant du revenu national épargné coïnciderait avec les projets d’investissement des firmes.
Investissement réalisé :(fraction du revenu national qui a été épargnée)
Investissement désiré : (En d’autres termes, c’est l’investissement nécessaire pour augmenter les capacités de production afin de répondre à la croissance de la demande, laquelle est anticipée par les entrepreneurs)
Logiquement, l’équilibre suppose que :
Il faut donc que Gw soit égal au rapport propension marginal à épargner/coefficient de capital pour que le taux de croissance corresponde bien aux besoins de l’économie. Cependant, la propension marginale à épargner et le coefficient de capital sont fixes et indépendants ; il n’existe donc pas de mécanisme spontané́ qui permette de faire converger les 2 taux de croissance
Harrod montre d’autre part que ce sentier d’équilibre est très instable, en effet, autour de Gw il existe des forces centrifuges qui opèrent et qui, lorsqu’il y a un écart entre Gw et Ge, va l’approfondir et l’aggraver.
- Si Gw > Ge : Alors il y a hausse de l’investissement, donc surcroit de production, mais l’économie est dans une situation de croissance soutenue mais aussi inflationniste. Le PIB réel est supérieur au PIB potentiel
- Si Gw > Ge : Alors l’investissement devient insuffisant du fait d’un manque de débouchés pour les entrepreneurs (ces derniers vont donc réduire leur stock de capital, donc d’investissement), et comme il n’existe pas de mécanisme de coordination des décisions individuelles, on observe une diminution de la production du fait d’une compression de la demande effective, on entre ainsi dans un phénomène généralisé de déflation et de dépression.
D’autre part, le taux de croissance naturel (celui qui assurerait le plein emploi) Gn a peu de chances de coïncider avec le taux de croissance garanti Ge.
On a Gn= n+a
N : taux de croissance de la force de travail
A : taux de croissance de la productivité du travail
Et si jamais Gw-Ge, rien n’indique que Ge=Gn car les paramètres sont indépendants et exogènes.
Le modèle insiste cependant sur l’importance de l’épargne et de l’investissement et montre notamment que le taux de croissance (s/v) augmente avec le taux d’épargne. Ce modèle influencera donc beaucoup les politiques de développement
Partie Domar
Domar (« Expansion & Unemployment », in American Economic Review, 1947) suppose que l’économie est en situation de plein emploi. Il va s’interroger sur les conditions à vérifier pour que le plein emploi se maintienne. Il part de l’offre de produits à un instant t, notée avec :
Selon lui, l’investissement privé a un double effet, il affecte l’offre et la demande (investissement net). Du côté de l’offre il permet d’accroître les capacités de production et du côté de la demande il est générateur de revenus supplémentaires. Toute la question est de savoir quel devrait être l’équilibre afin que l’accroissement de l’offre soit équivalent à celui de la demande (c’est-à-dire que l’accroissement de l’offre soit équivalent à celui de la demande)
Du côté de l’offre, à l’instant t, l’effet de capacité généré par l’investissement peut être mesuré ainsi :
Du côté de la demande, l’effet revenu se mesure à l’aide du mécanisme du multiplicateur :
La condition d’une croissance équilibrée est la suivante :
La condition d’une croissance équilibrée est que le taux d’augmentation soit égal au rapport s/v . Si ce n’est pas le cas, soit la production va augmenter plus vite que les revenus (l’offre étant supérieure à la demande, les agents n’auront pas les revenus nécessaires pour absorber l’excédent) ; soit les revenus augmenteront plus vite que la production (D>O)
LE MODÈLE DE CROISSANCE DE KALDOR
Le modèle de croissance de Kaldor (« A Model of Economic Growth », in Economic Journal, 1957) vient corriger les incompréhensions d’Harrod et Domar (55-56) car ce modèle reposait sur des hypothèses critiquables. En effet, le modèle Harrod-Domar postulait l’exogénéité du taux d’épargne, Kaldor veut montrer que Gw et Gn ne sont pas indépendants l’un de l’autre et il y a la possibilité d’obtenir une croissance équilibrée de plein emploi ( Gw = Gn ) à travers s qui constitue la variable d’ajustement (s devient endogène). Plus simplement, c’est un modèle de croissance qui se fonde sur le partage de la valeur ajoutée.
Hypothèses du modèle :
Kaldor postule le fait que la propension à épargner des capitalistes est supérieure à celle des travailleurs (sπ> sw), de ce fait, sπ-sw > 0 et s est donc une fonction croissante de π. En effet, la vocation d’un profit est d’être épargné alors que la vocation du salaire est d’être consommé. Or, la classe capitaliste considère le profit comme de l’épargne, car elle s’autofinance.
Formalisation mathématique :
- Π : Profits
- W : Salaires
- S : Épargne (L’épargne de x correspond à x multiplié par la propension à l’épargner)
- sπ> sw: Propension à épargner des travailleurs/capitalistes
- Y : Produit global
Il s’agit dès lors pour Kaldor de ramener à W à une expression en fonction de π :
On divise S par Y donnant alors le taux d’épargne :
Interprétation :
Ainsi Gw est croissante de la part des profits dans la production.
Le modèle de Kaldor considère le caractère auto-équilibrant de la croissance économique (A terme Gw=Gn)
Il y a deux possibilités :
- Si Gw<Gn: Hausse des prix, cela entraine une hausse du profit dans la valeur ajoutée au détriment des salaires (les salaires sont rigides à la hausse et à la baisse dans l’univers keynésien, donc l’épargne des capitalistes augmente et les salaires baissent). Sans intervention étatique, la variable d’ajustement s va faire tendre Gw vers G. En effet, s’il y avait peu d’investissement, du au peu d’épargne, alors celle-ci augmente.
- Si Gw>Gn: Le potentiel de production s’est développé excessivement, l’offre l’emporte sur la demande. Comme les salaires sont rigides à la baisse, alors relativement à la VA, les salaires augmentent au détriment de la baisse de la part du profit. Le taux d’épargne des capitalistes diminue, ce qui est positif car le taux d’épargne était trop élevé.
Ainsi, le destin de la répartition, comme de la croissance, est d’être équilibré.