Les blessures de la mémoire
Pour être honnête avec vous, ce sujet, je l’attendais, et même, je l’espérais tant il était au centre des réflexions que nous avons étudiées cette année avec les étudiants du groupe de la Dissertation Parfaite chez MyPrepa.
Les risques du sujet
« les blessures de la mémoire »
C’est un beau sujet, qui permet une réflexion large. Sur un sujet large, il y a donc toujours le risque de se perdre, en ne cadrant pas assez bien la définition de ce que sont les blessures. Il y avait le risque de confondre les blessures et les faiblesses de la mémoire. L’oubli, ou les biais liés aux souvenirs ou à la mise en récit de la mémoire par exemple, ne doivent être traités dans ce sujet que s’ils sont la conséquence de blessures, mais ne sauraient être définis comme des blessures eux-mêmes.
Un risque existait aussi de se cantonner à une définition trop médicale de la mémoire, et donc de n’aborder la blessure que sous l’angle de la lésion et de la perte de capacité qui en découle. Si la question pouvait être traité telle qu’elle, je pense qu’il était plus élégant, dans le cadre d’une dissertation de culture générale, de montrer toutes les réalités qui peuvent se cacher derrière le concept de mémoire (génétique, biologique, psychologique, interrelationnelle, sociale, légale, politique, Historique, culturelle, artistique…) et en quoi les blessures d’une de ces réalités entraînent des effets sur d’autres niveau de réalité. Voire même que certains niveaux de réalité se superposent : par exemple, une lésion cérébrale peut causer un traumatisme psychique qui impactera toute la vie sociale de la personne. Ça c’est le sens le plus facile à concevoir. Mais surtout, la blessure peut venir de la vie sociale (blessure amoureuse, lutte des classes, harcèlement…) et elle peut se matérialiser alors par une blessure psychologique visible. L’organe cérébral en portera les stigmates, tant dans sa structure que dans ses fonctions mais aussi le corps dans son ensemble, qui rappelons-le, est une mémoire à part entière.
Enfin, je pense que la plupart des candidats bien préparés auront évité le piège classique des sujets ainsi formulés : oublier une moitié du sujet. En effet, quand on parle des blessures de la mémoire, le « de » peut avoir deux fonctions grammaticales. Il faut à la fois le traiter sous l’angle des blessures faîtes à la mémoire (la mémoire blessée), et surtout, ne pas omettre les blessures faîtes PAR la mémoire (la mémoire blessante) et du lien qui existe entre les deux.
C’est le genre de double sens qu’il faut impérativement chercher à repérer dans un sujet de culture générale HEC. C’est ce que j’appelle « ouvrir les portes du sujet » et c’est une des premières choses à faire lors de la découverte du sujet, en même temps que l’analyse du champ lexical. Comme expliqué dans le précédent article :Le Concours Corrigé : Analyse Ecricome Culture générale 2019 :
« La première étape que je conseille aux étudiants du module de la Dissertation Parfaite chez Myprepa, c’est de prendre 5 minutes pour « brainstormer » sur le champ lexical du sujet et de poser sur leur brouillon tous les mots et expressions que leur évoque chaque mot clé du sujet.
Voyez l’épreuve comme une épreuve sportive. La recherche du champ lexical, ce sont les exercices de souplesse et d’échauffement avant votre performance. Vous gagnez en souplesse cognitive en faisant fonctionner votre mémoire associative et ce faisant, vous élargissez le sujet et minimisez le risque d’en oublier une partie. Du point de vue du style, un second effet extrêmement positif de ce petit exercice est que vous allez pouvoir enrichir votre rédaction d’un vocabulaire enrichi et lié au sujet. »
Analyse du sujet de culture générale HEC / EMLyon 2019 : « les blessures de la mémoire »
Le sujet fait références aux blessures (notez le pluriel) de la (notez le singulier) mémoire. Il s’agira donc de multiplier les définitions de « blessure » et d’en étudier les différentes modalités à une définition large et suffisamment abstraite de la mémoire. Par exemple, on peut définir la mémoire comme l’ensemble des informations qui perdurent dans le temps. On essaiera donc, lors de notre analyse du champ lexical de la blessure, de se référer à cette définition temporelle de la mémoire. Par exemple, dans le champ lexical de la blessure, nous trouvons :
- Le traumatisme, qui définit les troubles qui sont provoqués par la blessure. Ces conséquences des blessures seront à étudier en profondeur, car puisqu’elles perdurent dans le temps, elles rejoignent la fonction élémentaire de la mémoire : faire perdurer l’information dans le temps. Et puisque le sujet a deux faces, la question du traumatisme sera elle aussi biface : quelles conséquences les blessures ont-elles sur la mémoire (la mémoire traumatisée) ET comment la mémoire fait perdurer le traumatisme (la mémoire traumatisante) ?
- La cicatrice. La cicatrice est la marque d’une blessure passée, le signe qui perdure dans le temps (là encore, on retrouve la fonction élémentaire de la mémoire). La cicatrice est la lésion indélébile d’une blessure certes refermée, mais dont on porte encore les stigmates.
- La question de la régénération, de la guérison des blessures, ou même de la résilience face au traumatisme devra être traitée. Comment guérir les blessures faites à la mémoire, comment prévenir les blessures faites par la mémoire ? La guérison de la mémoire implique-t-elle une guérison du passé (devoir de mémoire), du présent (se libérer des blessures de notre mémoire) ou de l’avenir (construire une mémoire saine malgré ces blessures) ?
- La question de la santé. Être blessé n’a de sens que relativement à une norme de santé. Pour définir ce qui est blessée, il faut pouvoir définir ce qui fonctionne normalement. Donc les blessures sont un élément structurant de toute mémoire, elles nous informent sur ce qui détruit, ce qui lèse la mémoire, donc sur ce qui n’est pas bon pour elle. Cela suppose une étude de la santé de la mémoire, qui est donc forcément une étude de ce qui est bon ou non pour le fonctionnement de la mémoire. Qu’est-ce qui est caractéristique d’une mémoire en santé, et qu’est-ce qui est caractéristique d’une mémoire blessée ? Est-ce que l’oubli est le fait d’une mémoire saine ou blessée ? Est-ce que les biais cognitifs qui agissent sans cesse sur nos mémoires individuelles et collectives sont le fruit de l’activité normale d’une mémoire saine ou bien le signe d’une blessure ? Votre travail du thème de l’année doit apporter les réponses nuancées à ces questions sans lesquelles on ne réussira pas à définir rigoureusement la notion de blessure.
- La question de la violence. La blessure peut être causée par un choc brutal, ou par une usure lente due à une pression chronique ou constante. Un excellent exemple qui aura d’ailleurs été largement traité par les étudiants du groupe de la dissertation Parfaite 2018-2019 sur la mémoire est la question des violences éducatives. Cette forme violente d’éducation que les psychologues de l’enfance dans la lignée d’Alice Miller caractérisent de « pédagogie noire » caractérise à la fois le fait de marquer la mémoire de l’enfant par des pratiques brutales (fessées, douches froides, claques, intimidation…) aujourd’hui de plus en plus décriées dans nos sociétés modernes (c.f le récent débat à l’assemblée nationale au sujet d’une loi anti-fessée), mais aussi et surtout des pratiques plus insidieuse de pression psychologiques comme le chantage affectif, les regards noirs, la répétition de remontrances que beaucoup de parents appliquent à des fins prétendument éducatives… Or cette forme de violence larvée a des conséquences toutes aussi profondes et durables sur le psychisme de l’enfant et de l’adulte et forgera ce que l’on apelle d’ailleurs « mémoire traumatique ». La mémoire traumatique est donc autant le fruit des conséquences d’un évènement violent (attentat, guerre…) que de processus de conditionnements de la mémoire vécus comme violents. Pour ceux qui auront travaillé en profondeur cet aspect du thème, il sera évident que les conséquences de la mémoire traumatique sont à la fois une mémoire blessée et blessante. Vous avez donc ici le lien entre les deux facettes du sujet.
Comment traiter le sujet et illustrer les blessures de la mémoire ?
Bien évidemment, on illustrera notre propos par différents types de blessures portées à la mémoire. Et donc mécaniquement, on parlera de plusieurs types de mémoires, qui peuvent chacune être blessées, ou blesser, de façon singulière. La mémoire collective, la mémoire corporelle, la mémoire psychique, familiale, nationale ont des blessures propres. Du moment que l’on aura vu qu’une mémoire blessée est aussi une mémoire blessante, car précisément toute mémoire cherche à faire perdurer dans le temps l’information qui permet le maintien de son équilibre systémique, et puisque toute mémoire fait-elle-même partie d’un système plus vaste qui l’englobe, on aura alors le moyen de montrer les liens entre les différents niveaux d’analyse du sujet.
Concrètement, par exemple :
On montrera par un exemple bien choisi que notre mémoire collective longtemps être marquée par une violence dans le champ social (guerre, conflit social…). On illustrera par un exemple artistique (la mémoire ici = la culture) que cette violence sociale (la mémoire ici = la société) a profondément façonné le rapport au monde de toute une génération d’individus (la mémoire ici = l’idéologie mais aussi les paradigmes scientifiques, la weltanshau, les moeurs), qui a elle-même rejoué cette violence, soit politiquement (la mémoire ici = les lois), soit en la transmettant à leurs enfants par une éducation violente (la mémoire ici = la mémoire psycho-affective). Et ainsi de suite, dans un grand rejouement du passé qui caractérise encore une fois tout type de mémoire.
Maintenant que l’analyse du sujet est faite, il nous faudrait faire appel à des références pépites. La recherche de ces références est un travail de long terme, qui est central dans la méthode de dissertation parfaite, et que nous menons ainsi durant toute l’année avec nos élèves.
Je vous souhaite bon courage pour la prochaine épreuve de culture générale de l’ESSEC / EDHEC jeudi après-midi !