Suite à la publication de l’article de Major Prépa du 13 février , les instituts privés de préparation aux concours sont clairement stigmatisés. En tant que directeur de MyPrepa, institut privé défendant une autre vision de l’éducation et de l’égalité des chances, je conteste l’analyse et demande à la direction de Major Prépa de publier ma réponse.
Je tiens tout d’abord à remercier Major Prépa pour sa mission au service de l’égalité des chances. En revanche, si je sollicite ce droit de réponse auprès de Major Prépa, c’est pour proposer une analyse et des solutions différentes que le sempiternel clivage entre les gentils et les méchants, le public et le privé. La situation me paraît éminemment plus complexe que cela et je vais tâcher de répondre point par point aux arguments avancés.
La prépa, dernier bastion de l’égalité des chances et de l’excellence : 100% d’accord !
Sur ce point, je suis en grande partie en phase avec Major Prépa. La prépa est vraiment un formidable levier d’élévation intellectuelle qui est proposé à tous les bacheliers de France, quels que soient leur origine et leur milieu. C’est une chance. Et, à titre personnel, j’ai saisi cette opportunité avec passion. J’y ai cru alors que je ne venais absolument pas de ce monde-là. Petit-fils d’ouvriers immigrés, et bachelier sans mention, je n’étais pas vraiment taillé pour avoir une grande école…
Une autocensure inquiétante : 100% d’accord !
Là aussi, je vous suis à 100%. Et il y a des statistiques et études de sociologie à l’appui de ce constat. Les enfants d’ouvriers sont souvent victimes d’un discours qui les décourage de faire une prépa. Alors qu’en deux ans de travail sérieux et d’accompagnement adapté, il est tout à fait possible d’intégrer une grande école. À noter que parfois ce sont les conseillers d’orientation voire les professeurs qui ne prodiguent pas toujours des conseils encourageants. Au final, l’environnement joue un rôle déterminant dans l’orientation d’un étudiant talentueux.
Les effets d’aubaine entre les filières : partiellement d’accord
Faire passer en ECT plutôt qu’en ECE ou ECS me semble effectivement exagéré. Mais en revanche, cela me semble plus complexe pour les ECS qui souhaitent passer en ECE car souvent ces étudiants ont du talent mais ont été happés par l’appel de la Terminale S, la « voie royale ». Je me suis déjà longuement prononcé sur ce sujet dans un coup de gueule qui n’avait pas plu, à l’époque, à la direction d’une prépa publique avec laquelle, il est vrai, je n’avais pas été très tendre. Voici le lien : Coup de gueule : récit d’un passage douloureux d’ECS à ECE
L’accroissement des inégalités géographiques : 100% d’accord
C’est d’ailleurs pour cela qu’à l’origine nous avions créé MyPrepa. Je me lassais de voir des étudiants de province débarquer à Paris avec leurs valises pour suivre des stages de vacances pendant que d’autres provinciaux, qui n’avaient pas les moyens de payer le transport et l’hôtel parisien, restaient en province… Nous avons créé une plateforme de cours en ligne qui fait aujourd’hui le bonheur de nos étudiants de province dont plusieurs qui font leur prépa entièrement à distance. Et nous irons plus loin dès la rentrée 2020 avec la gratuité des frais de scolarité à certains boursiers de province qui souhaitent faire leur prépa chez MyPrepa.
Une asymétrie d’informations entre les « grandes » et les « petites » prépas : partiellement d’accord
Vous l’avez rappelé, ce problème d’asymétrie est de moins en moins prononcé. En partie grâce au travail de Major Prépa mais aussi grâce au nôtre : sur MyPrepa News , nous essayons de délivrer gratuitement de l’information utile à tous les candidats : bonnes copies, exercices corrigés, articles pertinents dans toutes les matières… Le site Mister Prépa le fait aussi à sa manière. Mais notre travail ne s’est pas arrêté là : il y a quelques années, j’ai également eu au téléphone M. Philippe Régimbart, alors directeur des concours BCE, pour lui faire part d’un souci qui me paraissait de nature à entraver l’égalité des chances : l’absence de corrigés officiels dans la plupart des épreuves du concours BCE. Un étudiant boursier qui veut préparer une école comme HEC, l’ESSEC ou l’ESCP n’avait jusqu’alors pas le droit d’avoir de corrigés officiels alors qu’une école comme l’EDHEC le propose depuis des années en mathématiques. Cette demande a été entendue en partie puisqu’aujourd’hui certaines épreuves de la BCE présentent dans leur rapport à la fois une proposition de corrigés officiels mais aussi des bonnes copies.
Mais je vous l’accorde, cette question d’asymétrie posait question lorsque, par exemple, le concepteur de l’EDHEC était enseignant en prépa. Elle pose encore aujourd’hui question dans une moindre mesure lorsqu’aucune annale n’est vraiment disponible sur les tests psychotechniques de l’ESSEC alors que certaines prépas, souvent les mieux classées, ont accumulé de nombreuses années d’expérience en la matière. Ces tests sont vraiment surprenants pour les étudiants de petites prépas : c’était mon cas lorsque, venant de la prépa Michelet, je n’avais absolument pas été préparé à ces tests étranges ! Il serait temps que la direction de l’ESSEC propose des annales corrigées pour maximiser la préparation de TOUS les étudiants, et pas que les initiés…
En revanche, concernant l’opacité du système dont vous parlez, je serais plus mesuré car je n’ai pas d’informations précises en tête. En avez-vous ? Avez-vous contacté le directeur de la BCE pour en discuter ?
La stratégie de bachotage systématique des organismes privés : pas du tout d’accord !
Je suis extrêmement surpris par cette partie de l’article qui jusqu’alors présentait un état des lieux nuancé et intelligent. Plusieurs éléments m’ont indigné :
- L’utilisation du terme « officines » qui est évidemment péjoratif si l’on se fie à la définition du Larousse : une officine est, je cite, « l’endroit où s’élabore quelque chose de secret, de nuisible, de mauvais ». Le terme « institut privé » serait sans doute plus neutre et conforme à la réalité.
- La partie sur la « systématisation des stratégies censées permettre de décrocher les meilleures notes sans travailler la discipline outre mesure : l’exemple de la technique dite de la dissertation unique en culture générale est à ce titre l’exemple le plus probant. » : c’est sans doute la partie à la fois la plus anecdotique et la plus inexacte de l’article. Cette méthode dont vous parlez a été développée par un professeur de culture générale d’une prépa privée SOUS CONTRAT (donc relevant de l’Education nationale) à Lyon ! Elle est également pratiquée dans une grande prépa parisienne publique du top 10 (sauf qu’il s’agit de 3 dissertations et non une seule dissertation). Elle a été décrite par Nicolas Berrou, l’un des auteurs de Major Prépa, qui en vantait les mérites et qui venait d’une prépa privée SOUS CONTRAT aussi. Par conséquent, affirmer à demi-mot que les professeurs du public « se refusent à adopter de telles techniques » est parfaitement mensonger. Mais, plus grave : dire que l’on peut décrocher une bonne note en culture générale sans travail, c’est méconnaître complètement cette méthode qui demande énormément de travail à l’étudiant.
- Le passage invitant à « rendre les stratégies de bachotage caduques » : là aussi, nous avons affaire à une vision caricaturale de notre métier. Rappelons la définition du terme « bachoter » dictée par Larousse : « Préparer un examen ou un concours avec intensité, mais trop rapidement, sans viser à une formation de l’esprit. » Pensez-vous une seule seconde qu’un étudiant puisse intégrer une école du Top 3 en « bachotant » ? Je suis très surpris qu’un tel argument soit avancé. Je l’affirme haut et fort : un étudiant ne peut pas réussir une épreuve de maths d’HEC sans avoir compris le programme de maths de prépa ; il ne peut pas réussir la dissertation de culture générale sans avoir parfaitement assimilé les enjeux du thème de l’année ; il ne peut pas proposer une dissertation de géopolitique ou d’économie sans avoir une compréhension fine du sujet donné et de la façon d’y répondre avec rigueur et fluidité ; il ne peut pas réussir la contraction de texte sans avoir décrypté le sens du texte et sans maîtriser l’art de la reformulation. En langues, c’est la même chose. Je discutais très récemment par messagerie instantanée avec notre prof d’anglais, enseignante de l’Éducation nationale. Son message : « il faut impérativement faire entrer dans le crâne des élèves que les systèmes de listes ne fonctionnent JAMAIS en traduction, qui est un exercice de réflexion où il s’agit de résoudre des difficultés. Ce n’est JAMAIS un exercice de copier-coller ». Je me bats au quotidien avec nos élèves pour leur faire comprendre que la réflexion doit être au cœur de leur travail. Affirmer donc sans ambages que les prépas privées ne visent pas à la formation de l’esprit critique, c’est une fois de plus parfaitement inexact : le bachotage ne permettra JAMAIS à un étudiant d’intégrer les meilleures écoles…
- Le passage suivant : « Les prépas scientifiques et littéraires n’ont pas vu une telle prolifération sur le marché d’acteurs privés, précisément parce que les classes prépas publiques de ces filières sont tout à fait efficientes dans l’optique du concours et ce, sans renoncer à leur vocation pédagogique et intellectuelle. » Pas d’accord avec cette conclusion de l’article : les prépas littéraires concernent une population bien trop faible pour voir naître l’émergence d’un acteur du privé qui ne peut amortir ses frais fixes que s’il a suffisamment d’étudiants à former. Dans le cas des prépas scientifiques, vous omettez étonnamment que des acteurs du privé existent depuis des années : Optimal SupSpé (1000 étudiants par an), les Cours Thalès, le Groupe Réussite, Cour des Grands, MyPrepa… Le recours aux cours privés est peut-être, je vous l’accorde, moins assumé – et nous pourrions nous étendre sur cette question avec des éléments sociologiques – mais il est bien réel.
Conclusion : que penser de l’article de Major Prépa ?
Je regrette que les faits que vous avez exposés aient été mis au service d’une vision schématique qui, quoique bien intentionnée dans son principe, propage des idées erronées. Je déplore notamment que l’article n’ait pas forcément mis en évidence ses sources, ses interviews ou ses références. Il aurait permis d’ancrer davantage la discussion dans des constats factuels qui iraient au-delà des présupposés de son auteur. Comme acteur de ce secteur, je reste à la disposition des auteurs de l’article pour prolonger le débat. Par intégrité et transparence, il s’agirait qu’ils commencent par publier ce droit de réponse.
En réponse à votre analyse, voici ce que j’écrivais sur le débat « pour ou contre les cours privés en prépa » en août 2019 :Débat : Pour ou contre le soutien scolaire privé en prépa ? 8 idées reçues passées au crible
Vous l’aurez compris, je ne signerai pas le manifeste dont vous assurez la promotion car il simplifie le monde alors que celui-ci est complexe.
Pour conclure, je rajouterai quelques réflexions qui résument ma pensée :
- Notre système éducatif défendrait bien mieux l’égalité des chances en développant des partenariats privé / public plutôt qu’en les opposant systématiquement, comme vous le faites.
- Les épreuves du concours, écrites comme orales, sont conçues pour évaluer l’esprit critique et la culture générale du candidat. Affirmer que le bachotage permet d’intégrer les meilleures écoles est une caricature.
- Néanmoins, la direction des admissions et concours, il est vrai, gagnerait en transparence et en crédibilité si les épreuves étaient conçues par des concepteurs et corrigées par des correcteurs qui n’appartiennent pas au monde de la prépa mais en comprennent les exigences. Elle œuvrerait davantage pour l’égalité des chances si des corrigés officiels et des bonnes copies étaient systématiquement disponibles à l’écrit dans toutes les matières.
- MyPrepa fera entendre une autre voix dans les années à venir en assurant l’égalité des chances par la gratuité des frais de scolarité pour certains boursiers et en développant des mécanismes de financement garantis.
- MyPrepa continuera d’œuvrer pour la réduction des inégalités géographiques grâce à sa préparation 100% en ligne, gratuite pour certains boursiers.
- Les autres acteurs du privé sont libres de suivre notre démarche. Et certains l’ont fait par le passé sans s’en vanter : saviez-vous par exemple qu’Ipesup, alors dirigé par M. Patrick Noël et M. Gérard Larguier, était en partenariat avec l’association Frateli et offrait la gratuité à des étudiants boursiers souhaitant suivre leurs stages ?
- Si les prépas privées affichent dans l’ensemble de bons résultats, y compris en les dépolluant des biais statistiques (stratégie de double marque), c’est sans doute pour plusieurs raisons parmi lesquelles : la qualité des enseignants, la stratégie de sélection des étudiants (comme dans les prépas publiques prestigieuses qui ne prennent que des étudiants brillants), la forte proportion de cubes (comme votre classement des prépas le précisait récemment). Il faut également rajouter l’innovation pédagogique dont fera preuve MyPrepa avec la généralisation des méthodes dites de “classe inversée” qui sont répandues dans le monde entier et dont l’efficacité n’est plus à démontrer. Matthieu Alfré, enseignant chez MyPrepa et intervenant chez Major Prépa, en est d’ailleurs l’ardent promoteur. Bref, ce n’est en aucun cas grâce aux stratégies de bachotage que les prépas privées ont de meilleurs résultats que d’autres prépas.
Merci en tout cas à Major Prépa d’avoir ouvert ce débat et d’avoir accepté de publier ce droit de réponse qui n’engage que la direction de MyPrepa, un institut de préparation aux concours qui défend une autre vision de l’éducation et de l’égalité des chances.
Note de la rédaction : à l’heure où cet article est publié sur MyPrepa News, celui-ci n’a toujours pas été publié sur le site Major Prépa. Nous leur avions envoyé l’article plus d’une semaine avant notre décision de le publier sur notre site.