Sujet classique et attendu, on pensera bien sûr au sujet ESCP 2006 (« La concentration industrielle est-elle toujours un obstacle à la concurrence » ?) ou encore ESCP 2015 (« La concurrence est-elle le moteur de la croissance » ?), en recyclant des théories classiques comme celles de Schumpeter, Baumol, Harberger, il était largement possible de s’en sortir dignement en comparaison avec les sujets des deux dernières années…
Pour Schumpeter (“Capitalisme, Socialisme et Démocratie”, 1942) “Nous sommes obligés de reconnaître que l’entreprise géante est finalement devenue le moteur le plus puissant de ce progrès et, en particulier, de l’expansion à long terme de la production totale”, la concentration industrielle n’est donc pas à craindre puisqu’elle a été le moteur du progrès par le passé.
Mais tout d’abord définissons le terme de concentration industrielle : il s’agit du regroupement d’un certain nombre d’entreprises sur un marché, ce qui conduit à la modification de sa structure. On peut également la définir comme le rassemblement d’un certain d’entreprises dans une zone géographique.
Craindre le retour de la concentration industrielle revient à se demander si la concentration est mauvaise en soi ou encore si nous ne serions pas à l’aube d’un nouveau phénomène de concentration industrielle.
Mais est-elle réellement à craindre ? Ne peut-on pas voir des effets positifs à la concentration ? La concentration industrielle n’est-elle pas à craindre qu’en fonction des objectifs économiques qu’elle sert ?
Si le retour de la concentration industrielle est en effet à craindre sur des plans empiriques autant que théoriques (I), la craindre reviendrait néanmoins à ignorer les effets bénéfiques qu’elle apporte, tant dans une conception formelle de la concentration que dans une perspective spatiale (II). Enfin, le retour de la concentration industrielle n’est à craindre qu’en fonction des objectifs économiques qu’elle sert (III)
I. Le retour de la concentration industrielle est en effet à craindre sur des plans empiriques autant que théoriques
A. Le retour de la concentration industrielle est à craindre du fait de l’existence d’externalités telles que les effets de réseaux
Idée : L’argumentation de cette première partie porte sur le premier sens du mot craindre, on peut l’entendre au sens de quelque chose d’imminent, quelque chose qui va hélas se produire
On peut craindre le retour de la concentration industrielle du fait de l’existence d’externalités de réseau (« network effects »). En effet, selon Katz et Shapiro (« Systems Competition and Network Effects », 1994) la demande pour un bien de télécommunication (ex : fax) dépend à la fois de son prix et de la taille du réseau. Ce qui peut expliquer les phases de concentration de certaines industries.
Ces effets de réseau, qu’ils soient indirects ou direct, peuvent expliquer en partie le mouvement de concentration des industries qui se produit aux États-Unis depuis les années 80 par exemple. Une récente étude d’Autor et alii (« The Fall of The Labor Share and The Rise of Superstar Firms”, 2017) estime que l’indice d’Hirschman-Herfindhal est passé de 1700 à plus de 6000 dans le secteur du commerce de détail (+416%) entre 1982 et 2012.
Dans la même veine, on observe une tendance globale à la concentration des industries aux États-Unis. Une étude de Michaely (« Are US Industries Becoming More Concentrated”, 2017) conclut que 75% des industries américaines ont connu une hausse de la concentration.
B. D’autant plus qu’un tel retour se ferait au détriment des consommateurs et pourrait potentiellement pénaliser l’activité économique dans son ensemble
Idée : On analyse la deuxième signification du terme craindre, on se pose plutôt la question des effets négatifs liés à cette concentration
La concentration industrielle peut induire à une diminution de la pression concurrentielle et ainsi conduire à une allocation sous-optimale des ressources. C’est le concept d’Inefficacité-X introduit par Leibenstein (« Allocative Efficiency vs. X-Efficiency », American Economic Review, 1966).
Elle se fait également au détriment des consommateurs. En effet, si l’on en croit J. Bain (« Relation of Profit Rate to Industry Concentration« , Quarterly Journal of Economics, 1951), la concentration industrielle permet d’accroître la rentabilité puisque les structures de marché monopolistiques ou oligopolistiques permettent aux entreprises de facturer à un prix supérieur à une situation de concurrence. Or, cette augmentation des prix se fait au détriment du consommateur si l’on en croit Harberger (« Monopoly and Resource Allocation« , American Economic Review, 1954)
Explication : En situation de concurrence parfaite, le prix est fixé au point F, c’est-à-dire le point où le coût marginal est égal au prix. Or, en situation de monopole, le producteur est price maker. Il fixera donc le prix au point H qui égalise recette marginale et coût marginal.
II. Néanmoins, craindre le retour de la concentration industrielle reviendrait à négliger ses effets bénéfiques
A. Un phénomène de concentration industrielle n’implique pas d’effets négatifs tant que le marché reste contestable
Idée : En clair, la concentration industrielle est un phénomène qui vient mais qui peut aussi repartir, ce qui importe est le dynamisme économique
Les idées évoquées précédemment se basent sur une analyse statique, or la concentration industrielle peut constituer un état temporaire dans le cadre d’un processus dynamique de la concurrence si l’on en croit Schumpeter (« Capitalisme, Socialisme et Démocratie », 1942)
« In capitalist reality as distinguished from its textbook picture, it is not that kind of competition which counts (competition that is, within a rigid pattern of invariant conditions of production) but the competition from the new commodity, the new technology, the new source of supply, the new type of organization… competition which strikes not at the margins of the profits, and the outputs of existing firms, but at their very lives. This kind of competition is as much more effective than the other as a bombardment is in comparison with forcing a door » Schumpeter (« Capitalisme, Socialisme et Démocratie », 1942)
De ce fait la concentration industrielle n’est pas à craindre du moment qu’il y a possibilité de « contestabilité » de la part d’intrants selon Baumol, Panzar et Willig (“Contestable Markets and the Theory of Industry Structure”, 1982). En effet, dans le cas où il y a libre entrée et sortie sur le marché ainsi qu’une absence de sunk costs, il y aura la présence d’une concurrence potentielle, ce qui incitera l’entreprise en monopole à se comporter comme si elle était en concurrence.
Explication : L’existence sur un marché d’un profit anormal P1AP2 (monopole) amène des concurrents potentiels qui veulent se l’accaparer, la firme en est consciente et elle va donc diminuer son prix à P2 de manière à ce que le profit soit nul pour dissuader les entreprises d’entrer, elle se retrouve donc en situation de CPP (aucun profit).
B. D’autant plus que la concentration industrielle peut être gains d’efficacité
Idée : Tout simplement, la concentration industrielle c’est pas si mal !
La concentration industrielle est certainement synonyme de perte de surplus pour les consommateurs, mais elle est gage de gains en termes d’efficacité pour les producteurs si l’on en croit Williamson (« Economies as an Antitrust defense : the welfare tradeoffs», American Economic Review, 1968), c’est le fameux arbitrage équité-efficacité.
Source : Emmanuel Combe (« La politique de la concurrence », La Découverte, 2002)
Explication : Lors d’une fusion entre deux entreprises, deux effets se produisent,
Un effet d’efficacité : le coût moyen de production passe de C0 à C1
Un effet pouvoir de marché : les firmes se trouvent désormais en position de monopole, ce qui se traduit par une hausse du prix de vente à P1.
La fusion entraîne néanmoins une perte de surplus pour les consommateurs (représentée par A1) mais elle permet d’accroître le surplus net des producteurs d’un montant égal à l’aire A2. Dans le cas A1.est inférieur à A2, la fusion entraîne alors une amélioration du bien-être total.
Idée : l’origine de ces gains d’efficacité peut être attribuable aux districts industriels de Marshall pour qui les économies d’échelle externes à la firme mais internes à la branche provenaient en partie de la proximité des entreprises entre elles.
Des gains d’efficacité qui seraient attribuables, selon Marshall, aux économies d’échelle externes (“Principles of Economics”, 1890) mais également aux “knowledge spillovers” en ce que “ Les secrets de l’industrie cessent d’être des secrets”. La concentration industrielle permet une meilleure diffusion des idées qui seront par la suite reprises par d’autres, ce qui facilite la naissance de nouvelles innovations et de nouvelles méthodes de production. C’est le modèle Marshall-Arrow-Romer des effets d’apprentissage.
III. Ce qui amène à considérer que la concentration industrielle n’est à craindre qu’en fonction des objectifs économiques qu’elle sert
A. Ces derniers apparaissent nécessaires afin de gagner en compétitivité dans un contexte de concurrence internationale et de la possibilité d’apparition de monopoles naturels
Idée : La concentration industrielle est souhaitable dans notre contexte économique actuel, de manière à briser une situation monopolistique mondiale par exemple
Dans le cadre d’un marché mondial et sous réserve d’existence de rendements d’échelle internes à la firme, une firme se retrouvera en monopole mondial selon Helpman et Krugman (« Market Structure and Foreign Trade”, 1985). Dès lors, la concentration industrielle peut s’avérer nécessaire afin de gagner en parts de marché).
Il s’agit de l’idée défendue par Brander et Spencer (« Export Subsidies and International Market Share Rivalry », 1985) qui soulignent que, du fait de rendements d’échelle croissants et de coûts fixes importants sur certains secteurs (ex : aéronautique) la rupture d’une situation monopolistique à l’échelle internationale ne peut passer que par la subvention (ex : Duopole Airbus-Boeing).
B. De ce fait, la crainte de la concentration industrielle doit être tempérée, à condition néanmoins qu’elle ne se fasse pas au détriment du consommateur. Dans le cas contraire, les politiques de la concurrence trouvent toute leur justification
Idée : S’il faut tempérer la crainte du retour de la concentration industrielle, il faut néanmoins lutter contre elle lorsqu’elle est défavorable au bien-être du consommateur.
Baumol et Willig (« Contestability : Developments since the book », 1986) précisent que la théorie du marché contestable permet de fournir à l’État et aux autorités les outils afin de légiférer dans les cas où l’intervention publique s’avère nécessaire. De manière analogue, la concentration industrielle doit être encouragée lorsqu’elle amène des gains d’efficacité pour faire face à la concurrence mondiale et elle doit être combattue lorsqu’elle impacte négativement les consommateurs.
On pourra citer le Sherman Act (1890) ou encore le Clayton Act. (1914)
On pourra citer l’article 101 du TFUE qui stipule que sont exemptées les ententes “qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit”