Les élections présidentielles américaines du 3 novembre sont particulièrement décisives pour les Etats-Unis. Washington doit affronter de nombreux défis, en premier lieu la pandémie, dans un contexte international troublé.
Des différences exprimées dans les programmes présidentiels
Sur le plan sanitaire d’abord. La question sanitaire a fait irruption dans la campagne présidentielle, pandémie du COVID-19 oblige. Le président Trump a d’abord sous-estimé la pandémie et ses conséquences avant d’être lui-même contaminé. Cela ne l’a pas empêché cependant de multiplier les meetings électoraux, en particulier dans les toutes dernières heures de la campagne. Le président américain n’a donné aucune consigne quant au port du masque, lui-même n’en portait pas durant ses meetings.
Joe Biden au contraire, a pointé les risques sanitaires des grands rassemblements organisés par l’équipe de campagne de Donald Trump et a cherché à les limiter.
En 2016, Donald Trump avait fait campagne contre le Affordable Care Act (Obamacare) mais n’est pas parvenu à l’abroger. Il souhaite toujours le remplacer.
A l’inverse, Joe Biden a promis d’étendre ce programme de couverture santé publique en le combinant au système des assurances de santé privées.
Les politiques économiques de Donald Trump et de Joe Biden sont aux antipodes.
Le premier souhaite poursuivre sa politique de baisse d’impôts et de dérégulation.
Il a beaucoup souligné les bons chiffres économiques avant l’irruption de la pandémie. Le chômage était alors au plus bas (3,5% fin 2019), la croissance, soutenue (2,5% en moyenne sur les trois premières années du mandat Trump) et les marchés boursiers atteignaient des records.
La réforme fiscale intervenue en 2017 en est pour beaucoup (baisse de l’impôt sur les sociétés de 35 à 21%). Selon Grégory Daco, économiste en chef d’Oxford Economics, la réforme fiscale aurait en réalité eu des effets de court terme sur la croissance (de 0,5 à 0,6% du PIB) mais elle a coûté plus de 2000 milliards de dollars (presque 10% du PIB) [1] et a massivement creusé les déficits américains (+50% entre début 2017 et fin 2019 atteignant 1000 milliards de dollars avant la pandémie).
Le second s’est engagé à augmenter l’impôt sur les sociétés à 28% contre 21% actuellement, ainsi que l’impôt des plus riches (personnes touchant plus de 400 000 dollars par an).
La politique fiscale aura des conséquences directes sur la sphère financière et il s’agit de la question qui inquiète le plus les marchés financiers et les entreprises américaines. Selon l’étude Pulse Survey réalisée par PwC [2] qui interroge des dirigeants d’entreprises américaines, la politique fiscale constitue le premier sujet d’inquiétude quelle que soit l’issue de l’élection présidentielle (principal risque pour 39% des sondés en cas de victoire de Trump, principal risque pour 62% des sondés en cas de victoire de Biden). Selon Goldman Sachs, si toutes les promesses de hausse des taxes de Biden étaient tenues, les revenus des entreprises du S&P500 pourraient être réduits de 9%. [3]
Joe Biden a exprimé, tout au long de la campagne, son soutien en faveur de la classe moyenne américaine et a proposé d’augmenter le salaire minimum fédéral (de 7,25 dollars de l’heure à 15 dollars de l’heure).
Concernant le climat, Joe Biden s’est clairement engagé en faveur de la lutte contre le changement climatique et veut s’appuyer, pour ce faire, sur la coopération internationale alors que les Etats-Unis vont formellement quitter l’accord de Paris le 4 novembre. En juillet dernier, le démocrate a dévoilé un plan majeur d’investissements en faveur du climat à hauteur de 2000 milliards investis sur 4 ans et a promis le retour des Etats-Unis dans l’Accord de Paris. Biden a également évoqué l’idée d’un plan consistant à arrêter les subventions aux énergies fossiles et prévoit d’interdire le processus de fracturation hydraulique sur les terres fédérales (enjeu électoral en Pennsylvanie notamment).
A l’inverse, Donald Trump favorise les énergies fossiles. En 2018, les Etats-Unis sont devenus pour la première fois de leur histoire un exportateur net de pétrole selon Rystad Energy. Le républicain a dérégulé le secteur et autorisé notamment la construction des pipelines Keystone XL et Dakota Access qui permettent de relier la production de pétrole canadien aux raffineries américaines du sud du pays.
Les conséquences d’une présidence Trump vs Biden
La société américaine apparait extrêmement polarisée et sur tous les plans.
Les inégalités raciales sont fortes et ont été accentuées par la pandémie qui a davantage touché les Afro-américains. Des manifestations de grande ampleur contre le racisme et les violences policières ainsi que des émeutes ont suivi la mort de George Floyd en mai 2020.
Certains indicateurs sociaux sont alarmants : l’espérance de vie à la naissance n’augmente plus depuis 2010. Surtout, à partir de 2014, les hommes (en particulier âgés de 20 à 40 ans) connaissent une diminution de l’espérance de vie. La hausse de la mortalité s’explique en partie par la crise des opioïdes [1]. Le pouvoir d’achat de la classe moyenne américaine a stagné sur la période 2000-2016 (de 78056$ à 78442$)[2]
La polarisation économique est extrême : la part des 1% les plus riches dans le revenu national est passée de 10% en 1980 à 20% aujourd’hui. A l’inverse, les plus pauvres ont vu leur part baisser de 20 à 12%. [3]
Le compromis bipartisan sur lequel sont fondées les institutions américaines (checks and balances) a explosé. Déjà sous l’administration Obama, le vote de législations (Obamacare, budget, plans de relance) avait été bloqué par de violentes oppositions partisanes.
La polarisation de la société américaine est donc une tendance de long terme et n’est pas apparue sous la présidence Trump, elle se poursuivra quel que soit le résultat des élections présidentielles. Le pays apparait particulièrement divisé (villes vs campagnes, républicains vs démocrates, minorités ethniques vs majorité blanche…).
Pour la première fois, un président américain a mis en doute la légitimité des élections américaines. Donald Trump refuse de dire s’il acceptera ou non le résultat des élections en cas de défaite et a plusieurs fois laissé entendre que les élections pouvaient être faussées, notamment en raison du vote par correspondance, privilégié par de nombreux Américains dans le contexte pandémique et traditionnellement favorable aux démocrates.
Le résultat définitif pourrait ne pas être connu avant plusieurs jours voire même plusieurs semaines (c’est ce qui était arrivé en 2000 lors de l’élection qui avait opposé G. W. Bush et Al Gore et qui avait finalement été départagée par la Cour suprême) en particulier si l’écart entre les deux candidats est faible et que des recours en justice sont déposés.
La politique étrangère, une différence et des similarités
Concernant la politique étrangère, la différence majeure entre les deux candidats réside dans la posture à l’égard du multilatéralisme.
Donald Trump s’est désengagé de plusieurs structures multilatérales (OMS, Accord de Paris sur le climat, JCPoA) et a largement mené une politique unilatéraliste (en menaçant de dénoncer l’OMC voire l’OTAN).
Joe Biden en revanche, s’est exprimé à plusieurs reprises en faveur du multilatéralisme et de la coopération internationale. Le démocrate était vice-président sous Barack Obama lors de la signature en juillet 2015 du JCPoA qui prévoit le gel du programme nucléaire iranien en échange d’une levée progressive des sanctions internationales et lors de la signature de l’Accord de Paris sur le climat en avril 2016. Le démocrate devrait réactiver la logique d’alliances et s’appuyer davantage sur les alliés des Etats-Unis (Union européenne notamment) pour défendre les intérêts américains. Joe Biden devrait donc rappeler son attachement à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
Mais Barack Obama déjà reprochait aux Européens de dépenser trop peu dans la défense. En réalité, cette demande américaine faite aux Européens d’investir davantage dans la défense est une constante depuis G.W Bush. Barack Obama avait déjà montré une certaine distance avec l’Union européenne tout en déployant son « pivot asiatique ». Joe Biden, dans la continuité du président démocrate, ne devrait pas chercher à intervenir dans les questions européennes.
La politique américaine à l’égard de la Chine devrait peu évoluer. La Chine a été identifiée comme étant le rival systémique des Etats-Unis et il s’agit de l’un des rares sujets faisant l’objet d’un consensus bipartisan outre-Atlantique (car c’est la place de la première puissance mondiale qui est en jeu). Joe Biden devrait donc chercher à rassembler les alliés des Etats-Unis pour exercer une pression sur Pékin.
La rivalité sino-américaine est absolument déterminante et devrait structurer les relations internationales que Biden ou Trump soit élu. D’autant que les tensions n’ont jamais été aussi fortes et les sujets de contentieux se sont multipliés ces derniers mois : loi sur la sécurité nationale imposée à Hong Kong, ascension de la puissance militaire chinoise en mer de Chine du Sud, traitement des Ouïghours au Xinjiang, remise en question du modèle de gouvernance américain et de l’échec de la gestion de la pandémie par Washington, tensions dans le détroit de Taiwan. La vente d’armes à Taiwan est, là encore, un sujet de consensus bipartisan. Dernièrement, une vente d’armes pour une valeur de 2.37 milliards de dollars a été approuvée par le département d’Etat américain et notifiée au Congrès. Elle intervient juste après l’approbation par le Congrès d’une vente d’une valeur totale de 1.8 milliard de dollars.
Concernant l’engagement américain au Moyen-Orient, Joe Biden partage l’idée de Donald Trump d’en finir avec « les guerres sans fin » et les deux candidats devraient poursuivre la politique de désengagement des troupes américaines d’Irak, d’Afghanistan et de Syrie. Rappelons que Donald Trump s’était déjà inscrit dans la continuité de son prédécesseur en ordonnant le retrait des troupes américaines du Moyen-Orient. Joe Biden est également favorable à la politique américaine, menée sous l’adminsitration Trump, de soutien en faveur de la normalisation des relations entre Israël et plusieurs pays arabes (après les Emirats arabes unis et le Bahreïn, le Soudan a rejoint l’initiative).
L’ébranlement de l’ordre multilatéral via le retrait progressif des Etats-Unis est une tendance lourde : Joe Biden a exprimé le souhait de réduire le poids de la politique commerciale et la signature de nouveaux accords de libre-échange passera après les politiques en faveur de la classe moyenne.
Globalement, l’image des Etats-Unis s’est dégradée ces dernières années et la gestion de la pandémie semble avoir accéléré la tendance (cf ci-dessous). Les alliés des Etats-Unis ont largement perdu confiance dans la capacité des Etats-Unis à assurer un leadership international. Et cette confiance sera difficilement regagnée.
[1] https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2019-9-page-1.htm
[2] https://carnegieendowment.org/?lang=en
[3] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/02/13/comment-evoluent-les-inegalites-aux-etats-unis-tracez-la-courbe-de-ces-quatre-graphiques-pour-comprendre-l-injustice-fiscale_6029397_4355770.html
[1] https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/presidentielle-americaine-le-bilan-economique-de-trump-percute-par-le-covid-1259190
[2] https://www.pwc.com/us/election2020
[3] https://www.ft.com/content/4930af61-c51a-4782-a1cd-a0cd1a9a0cde