Dans La Folle de Chaillot, Giraudoux explique la malédiction des ressources naturelles. “Ce qu’on fait avec du pétrole ? De la misère, de la guerre, de la laideur. Un monde misérable.” Ne serait-ce pas applicable au continent africain ? Depuis plus de 5 siècles, l’intérêt pour l’Afrique a été une constante historique. Cet intérêt est loin d’être anodin au vu des ressources présentes sur le continent africain. L’Afrique regorge plus du tiers des réserves mondiales en minéraux, 60% des réserves mondiales en cobalt, 10% des réserves en pétrole,50% la production mondiale de pierres brutes et de diamants ,20% de la production mondiale en fer… La diversité des ressources présentes sur le territoire africain nécessaires à la fabrication de produits quotidiens (téléphones, moteurs de voitures…) pourrait laisser croire que l’Afrique bénéficie d’un avantage structurel. On pourrait être enclins de dire que l’Afrique est bien partie et qu’elle pourra se développer grâce à ces ressources. Des articles prédisent déjà que l’Afrique pourra bel et bien un jour dépasser la croissance chinoise d’aujourd’hui et de devenir un réel marché émargent. En revanche, bien que l’Afrique bénéficie de cette myriade de ressources, elle se retrouve dans une situation d’impuissance. Dans quelle mesure les ressources africaines représentent-elles le Talon d’Achille du continent ? Comment expliquer que la croissance africaine soit toujours rythmée par des crises ? Comment assurer un développement de l’Afrique alors que des conflits sanglants ne cessent de se multiplier ?
Un continent qui a longtemps misé son développement sur ses ressources naturelles
L’ensemble des richesses présentes sur le sous-sol africain n’ont pas permis à terme de contribuer à l’émergence économique du continent. L’Afrique a misé son développement sur l’exportation des matières premières et des ressources naturelles. Avec une telle stratégie, elle s’expose à des risques conjoncturels. Cela s’est démontré notamment en 2014 avec la chute des cours des matières premières. Par exemple, le cours du fer a chuté de plus de 65%. Comme conséquence de ces baisses, la Mauritanie a perdu 46% de son PIB, et plusieurs mines de platine en Afrique détenues par des entreprises étrangères (Lonmin, Anglo American…) ont été fermées. Le cours du pétrole (Brent) a chuté de plus de 60% au cours de cette année, avec le prix du baril du pétrole qui est passé d’environ $100 à $45. Ainsi, les grands pays exportateurs de pétrole en 2014 se sont vu réduire une partie importante de leurs revenus. Les pays les plus exposés à ce risque-là sont l’Angola, l’Algérie, le Gabon ainsi que le Nigéria.
Au-delà des risques conjoncturels, il a été prouvé à de nombreuses reprises que les ressources sont en effet une malédiction. Le Nigéria, pays membre de l’OPEP, est un exportateur important de pétrole depuis 1965. En 35 ans, les recettes du secteur pétrolier se sont multipliées par 10, mais au long de la même période, le revenu par habitant a stagné. C’est dans ce contexte que nous pouvons parler de syndrome hollandais ou de « dutch disease » pour le continent africain. Au lieu de contribuer à un développement dynamique du continent, les matières premières entrainent le sous-développement. Le problème est tant la dépendance à l’égard des matières premières que les instabilités politiques et les cas de corruption qui peuvent exister (ex : tensions dans la région du Kivu, le cas d’Isabel dos Santos en Angola révélé par Luanda Leaks…)
Les ressources naturelles sont souvent les seules forces de survie des nations africaines, et c’est donc pour cela que le mot d’ordre pour l’Afrique est diversification. A terme, une économie centrée sur le secteur primaire n’entrainera pas un dynamisme accru du continent. Ceci a été compris par de multiples pays. L’exemple du Rwanda, de l’Éthiopie ou encore du Maroc sont des cas intéressants qui montrent le passage d’une économie fondée sur le secteur primaire à une économie qui investit dans le secteur secondaire. En s’appuyant sur le Clarke and Fischer Model, il est possible de constater que le continent africain peine à sortir d’une ère préindustrielle où le secteur primaire domine. L’arrivée de la Chine en Afrique avec les partenariats Chine Afrique qui se multiplient, l’infrastructure en Afrique est en effet en train de se développer et l’Afrique est en train de changer sa structure économique pour devenir à l’horizon 2050 l’atelier du monde à l’image de la Chine.
Avec une économie tournée vers l’exportation, l’Afrique ne peut assurer une croissance future durable. Si elle continue à se voir comme une île au trésor, ses ressources finiront par s’épuiser. Le continent africain souffre de la malédiction des ressources et pour y échapper, l’Afrique doit chercher à diversifier son économie à l’image du Rwanda, ou encore de l’Éthiopie,.
Ressources naturelles comme sources de différends
La faiblesse liée aux matières premières est double. Le continent n’arrive pas à décoller d’un point de vue économique et de nombreux conflits persistent autour de ces ressources même. En effet, la majorité des conflits en Afrique puisent leurs racines dans les rivalités autour de matières premières. L’Afrique est certes un continent riche en ressources, mais c’est exactement cela sa faiblesse. Dans Pourquoi l’Afrique est-elle si mal partie, Sylvie Brunel développe l’idée selon laquelle les ressources naturelles en Afrique constituent sa principale faiblesse. Avoir de l’avance au départ ne veut pas dire arriver en premier à la ligne d’arrivée. L’Afrique a littéralement de l’or sous les pieds, comment ne donc pas se reposer sur ses lauriers ? Son illusion de puissance avec ses ressources sous-terraines ne fait que s’accentuer avec les tensions qui habitent le continent.
Celui qui détient les matières premières en Afrique, détient le pouvoir, et celui qui détient le pouvoir détient le monde. C’est un parallèle que nous pouvons faire avec la citation de Walter Raleigh au sujet de la puissance maritime. En Afrique, c’est donc la course aux matières premières qui prime. Les accaparements de ressources ne sont pas uniquement au sein d’un pays mais aussi entre les pays. Ceci a été démontré par les relations ambiguës entre la RDC et le Rwanda. Ce dernier exploite plus de 70% du coltan trouvée dans la région du Kivu. Le Rwanda est un exportateur clé de coltan alors qu’il n’en est pas producteur. Il est estimé qu’entre 60 et 80% des réserves mondiales de coltan se trouvent en RDC.
En raison de la diversité des ressources présentes sur son territoire, la RDC s’est retrouvée proie d’accaparements et de pillages. Les guerres de la décennie 1990 n’étaient en aucun cas ethniques, elles portaient sur les matières premières. Les zones du Kivu à l’Est et le Katanga au Sud (zone connue pour l’abondance en cuivre) ont été largement pillées au fil des années.
La guerre qui éclata en 1997 au Zaïre est concomitante avec la découverte de nombreuses ressources telles que le coltan et l’étain autour de la frontière entre le Rwanda et la RDC.
En 1997, le peuple congolais exprimait son ras-le-bol et sa lassitude envers le gouvernement de Mobutu. C’est dans ce contexte précis que AFDL, soutenu financièrement par le Rwanda, intervint et la première guerre du Congo éclata. Laurent Désiré Kabila vint donc à la tête du pays. Peu après le début de son gouvernement effectif, il exila les Rwandais qui lui sont venus en aide afin de récupérer le pays. Ceci entraina l’invasion partielle de la RDC par le Rwanda à partir de 1998. Les forces du Rwanda ont été repoussées progressivement et sont restés dans la région du Nord Kivu.
Une deuxième guerre du Congo se produisit en 1998. Selon l’ONU, l’invasion de la RDC par le Rwanda n’était qu’un simple prétexte pour pouvoir profiter des ressources de la RDC. En 2003, le président du Rwanda, Paul Kagamé, s’obstine à refuser de telles accusations.
Source : https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/kivupoudriere
Au vu des conflits existants autour des matières premières en Afrique, les organisations internationales mettent en place des dispositifs pour s’assurer de la provenance des matières premières. Ceci est notamment le cas pour les diamants de guerre ou de sang.
L’appellation « diamant de sang » théorisée par le géographe irlandais Hugo JH Lewis porte sur tous les diamants qui proviennent d’une zone de guerre ou qui financent les conflits armés Le film Blood Diamonds, qui se déroule au Sierra Leone, démontre l’ampleur des tensions au sein du pays, les exactions commises par les rebelles, et le travail forcé des mineurs. Ce sont ces tensions-là qui animent l’Afrique subsaharienne et plus précisément la République Démocratique du Congo. Pendant la décennie 1990, les guerres au sujet des diamants se sont multipliées dans le Zaïre. Depuis son entrée dans le Processus de Kimberley en 2003, les diamants provenant de la RDC sont certifiés. Le processus de Kimberley a donc permis à terme de certifier que la vente de ces diamants bruts n’avait pas servi à financer un conflit armé. De façon analogue, les tensions dans la région du Nord Kivu ont encouragé la certification de la provenance des ressources. C’est pour cela qu’en 2010, le Dodd Frank Reform Act mandate que si les entreprises américaines utilisent des minéraux en provenance de la RDC, ils doivent s’adresser au US SEC (Securities Exchange Commission) pour démontrer les mesures qui ont été prises afin de s’assurer de la provenance des minéraux.
Les ressources présentes en Afrique sont de nature triple : terres fertiles, minerais et énergies. Toutes les ressources présentent dans son sous-sol ont une importance stratégique pour le développement, la croissance économique, et la prospérité du continent. L’Afrique dispose de ressources clés telles que le gaz et le pétrole sur son territoire. Avec la sécurité énergétique qui devient un réel enjeu géostratégique et géopolitique, le continent africain dispose d’un réel avantage. En dépit de tout cela, l’Afrique fait face au « paradoxe de l’abondance ». L’Afrique pourra bel et bien un jour devenir un acteur économique de grand poids, mais cela est à la seule condition que les accaparements de ressources cessent. La malédiction des ressources n’est pas un impératif. L’exemple de la Cote d’ivoire le montre bien. Depuis plus de 8 ans, ce pays est parvenu à une croissance stable et durable de l’ordre de 7% (2017), dont les citoyens ont bénéficié. L’Afrique pourra décoller à condition que les pillages et les hostilités s’achèvent. Comme souligné par l’ex vice-président de la Banque Mondiale Makhtar Diop, «l’Afrique peut aller plus loin et plus haut ».
Sources :
https://www.iisd.org/system/files/publications/afrique-ressources-naturelles-vangaurdia-fr.pdf
https://www.policycenter.ma/sites/default/files/OCPPC-PB1719.pdf