Résumé de l’article
Le but de ces articles est double : Préparer les élèves de classe préparatoire à l’oral de culture générale d’HEC, dont la moyenne est chaque année basse (entre 6 et 7 sur 20), sans oublier donner une culture générale à des élèves qui en manquent, ou qui n’ont pas le temps de lire intégralement toutes les œuvres qu’on leur impose. Ainsi, ce document concerne aussi bien les premières années (dont les professeurs n’ont nullement le temps de faire tout le programme prévu) que les deuxièmes années.
Cet article vise avant tout à donner quelques pistes de réflexion, avec une rédaction réutilisable à l’écrit. Dans une certaine mesure, il peut servir à la contraction de texte en proposant des thèses parfois techniques, qu’on peut retrouver dans des épreuves de HEC. Cela ne constitue donc pas une véritable correction.
Comment procéder ?
Commencez donc par vous focaliser partiellement sur le sujet. Quel est le thème, quels sont les enjeux (Politiques, économiques, éthiques etc…) ? Que veut clairement dire la question ? Est-ce une phrase connue, des dictions (Ceux-ci tombent très fréquemment à l’oral justement) ? Prenez donc quelques notes sur ce que vous inspire le sujet.
Ensuite, si vous vous sentez de faire un plan, allez-y ! Méfiez-vous tout de même : un sujet peut a priori vous paraître très évident. Cherchez toujours à aller au cœur des choses, et ne restez pas en superficie du sujet. Les sujets les plus simples en apparence ne le sont pas : il y a donc très souvent un sens caché. Inversement, ne négligez pas l’évidence : elle peut faire office de première partie, que vous pourrez ensuite nuancer voire remettre partiellement en cause. Un conseil pour percevoir « la face cachée » du sujet est de se demander : « Pourquoi me pose-t-on ce sujet ou cette question ? ».
Retour au sujet et éléments de correction
Déjà, on peut définir les termes du sujet :
- Beau sujet d’art : il s’agit de bien considérer le sujet de l’oeuvre et non l’oeuvre elle-même ! Puis s’interroger sur les faits constituants de la beauté : caractère agréable, joli à la vue, qui satisfait l’entendement par sa construction harmonieuse ou non et qui répond à des normes et autres canons de beauté.
- Yvetot VS Constantinople : Flaubert vient de Rouen et a beaucoup voyagé. Féru d’histoire, il connaît la grandeur relative à Constantinople et ses héritages byzantino-romain. Il ne semble pas y avoir lieu de comparaison quand de l’autre côté de la balance figure Yvetot qui ne possède aucun fait de guerre majeur à son actif, alors que la Normandie n’a pas encore été convoitée par les peintres impressionnistes.
Quelques pistes de réflexion rédigées et écueils à éviter.
De notre épistémè post-moderne à tendance relativiste et « vériphobe », il nous semble pratiquement commun d’entendre une déclaration comme « Il n’y a pas de beau sujet d’art. Yvetot vaut Constantinople. » Elle signifierait, dans ce contexte, que tout se vaut sans hiérarchisation possible en matière de ce qui fait la matière artistique : son sujet (indépendamment de l’interprétation faite de l’œuvre).
La gît le premier écueil. Gustave Flaubert au travers de cette citation ne réduit pas le jugement de goût à une vulgaire opinion creuse. Il adresse bien plutôt une critique comme dans Correspondance à la bassesse dans laquelle se prélassent ceux qu’il considère comme « bêtes », les bourgeois, et qui comme Monsieur Homais dans Madame Bovary omettent de faire part d’avis critiques et réfléchis au profit de bavardages mondains creux et incessants. Ceux-là même qui colportent par bienséance des lieux-communs en déterminant arbitrairement et à des fins de distinction sociale que telle matière ou tel thème est un « beau sujet d’art » (avec une intonation pédante et maniérée non-dissimulée).
C’est notamment ce constat qui a, au cours de ce XIXème, participé à l’élaboration par Baudelaire des Fleurs du Mal : faire d’un sujet laid d’art et désavoué par l’opinion publique, d’une « Charogne » par exemple, une œuvre belle. Ainsi Flaubert ne prône pas le relativisme mais tente bien plutôt de nous faire comprendre qu’il n’y a pas de beauté en soi, à caractère ontologique (c’est-à-dire qui serait beau par essence) et absolue pour un sujet d’art. Il reste tout de même provoquant en mettant sur le même pied d’égalité Yvetot et Constantinople.
Par ailleurs, il est à rappeler, pour traiter ce genre de sujet, que l’une si ce n’est la puissance de l’artiste est justement de faire émerger singulièrement dans son œuvre, quel que soit le sujet concerné (flânerie libertine comme dans la partie carrée du Déjeuner sur l’herbe de Manet ou bien guerre d’Espagne comme pour Guernica de Picasso) le beau. Dans l’idéal kantien établi dans Critique de la faculté de juger, la beauté d’une œuvre a un horizon universel malgré le style singulier de son créateur et la diversité des résonances qu’elle pourra avoir dans la sensibilité et l’entendement du spectateur ou lecteur. Là est le génie Kantien qui, malgré des techniques artistiques apprises, incorporées et un sujet d’art plus ou moins esthétisé, arrivera à dépasser ce cadre initial nécessaire à la création. Ainsi, en application à notre sujet, on comprend alors que « Yvetot vaut Constantinople » signifie qu’une fois que ces deux villes sont sublimées au sein d’une œuvre, on ne doit plus s’arrêter seulement à la représentation que l’on s’en fait. Car cet aspect figuratif agit comme un signe et renvoie toujours à autre chose. Ne considérer que celui-ci revient à manquer la portée sensible, onirique et surtout singulière de l’œuvre. Il faut pouvoir en faire abstraction pour « se plonger dans le sentir » comme le dit Merleau-Ponty, saisir le style unique de l’artiste et vibrer au rythme des formes (et non des signes) qui constituent l’œuvre et ne renvoient qu’à elles seules.
Le deuxième écueil serait de croire que Flaubert, emporté par un « vague des passions » typiquement romantique (comme le définit François-René de Chateaubriand dans Génie du christianisme, en tant que pour les personnes à la vie intérieure foisonnante de mélancolie « il reste encore des désirs, et l’on n’a plus d’illusions […] On habite, avec un cœur plein, un monde vide ; et, sans avoir usé de rien, on est désabusé de tout.» ), nous dit qu’aucun sujet d’art n’est beau. Cette affirmation serait absurde quand on sait dans quel état d’émerveillement Flaubert s’est trouvé en se rendant à Carthage, admirant ses beautés naturelles comme atteste la célèbre citation d’ouverture de Salammbô : « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins du palais d’Hamilcar ».
Le troisième écueil consisterait à dire qu’en réaction au constat qu’il y a tout de même certains beaux sujets d’art, « des goûts et des couleurs il ne faut pas disputer » puisque tout se vaut au sens où « la beauté est dans l’œil de celui qui regarde » comme le signalent les adages. Cet argument trompeur du subjectivisme est aussi à balayer. Ainsi, il y a, certes, une part de sensibilité dans la beauté mais elle doit être contrebalancée par l’entendement dans « libre jeu de ces deux facultés » comme le souligne Kant à nouveau dans Critique de la faculté de juger, pour pouvoir aboutir à un jugement de goût considérant véritablement le beau et non le bon, le bien ou l’agréable. Là réside la possibilité de s’ouvrir au beau, dans la juste mesure et l’harmonie entre l’entendement et les sensations et de dépasser les considérations obtuses sur la beauté du sujet d’art en tant que tel. Une fois inscrit dans l’oeuvre, et puisqu’il en constitue son fondement, le sujet d’art esthétisé se décline selon cette dimension du beau et non un consensus fade, relatif voir relativisant.